La Momification en Océanie
LA CONCEPTION DE LA MORT
La Mort n’est pas un fait anodin en Océanie. Il n’y a pas de fracture nette entre le monde des vivants et celui des morts.
La mort est un fait social et collectif. En effet, la personne tout juste décédée peut être déplacée vers son village de naissance ce qui implique des échanges entre diverses populations. De grandes funérailles sont aussi réalisées, où les différentes personnes d’un même lieu se retrouvent et s’organisent autour de festins rituels. Des danses et des sacrifices pouvaient même intervenir à l’occasion de l'anniversaire d’un mort les années suivant son décès.
Néanmoins, tout le monde ne pouvait pas aspirer à de grandes funérailles. L’importance sociale d’une personne était régie par le mana. D’après les études de Marcel Mauss, le mana fait référence à une force qui habite chaque objet ou individu de manière inégale. Les personnages les plus influents dans les sociétés d’Océanie sont considérés comme possédant une part de mana plus puissante que les autres.
Cependant, même si l'esprit est une partie composante de la mort, le corps, et plus particulièrement les entrailles, ont un grand pouvoir chez les océaniens.
George Vancouver écrit à ce sujet en 1792 dans le cadre des funérailles de Mahou à Maré :
“J’ai fréquemment dans mes entretiens avec eux à ce sujet, cherché à leur faire sentir que toutes les opérations intellectuelles ont lieu dans la tête.
Ils répondaient tous en souriant qu’ils avaient vu souvent revenir à la vie des gens dont le crâne avait été fracturé ou qui avaient eu d’autres parties de la tête fortement endommagées ; mais que dans tous les cas où les entrailles avaient été attaquées, la mort avait été certaine”.
Cette importance accordée aux organes explique en partie les pratiques de momification, même si la momification n’était pas la seule pratique funéraire appliquée en Océanie.
En effet, de nombreuses autres pratiques étaient réalisées. En Polynésie, Mélanésie, et Micronésie, il est courant à la mort d’un proche de manifester de manière plus ou moins expressive son chagrin. Cela va de cris et d’hurlements, à des mutilations physiques comme la brulure, la scarification, ou encore l’amputation de membres ou de dents.
Le travail des chercheurs a permis de montrer qu’aux îles Fidji et Carolines, il arrivait qu’à la mort de hauts dignitaires, on sacrifie leurs enfants, femmes ou esclaves afin que le défunt ne parte pas seul dans le monde des morts.
UNE APPROCHE PRATIQUE ET SOCIOLOGIQUE
La pratique de la momification
Le but de la momification est de stopper la putréfaction ainsi que la détérioration du cadavre afin de conserver le corps du défunt à travers le temps.
La pratique de la momification n’est pas propre à l’Océanie. C’est une technique qui s’étend sur l'ensemble du globe, et ce, depuis des milliers d’années. De cette manière, les archéologues ont retrouvé des corps momifiés sur chacun des continents.
C’est une pratique à la fois ancienne, comme en témoignent les momies Chinchorro du nord du Chili datées d’il y a au moins 7,000 ans, mais aussi récente avec les momies de Palerme en Sicile où la pratique de la momification a duré du XVe siècle au XXe siècle.
Il semblerait que cette pratique soit, dans chacun des cas, associée à une dimension spirituelle ou religieuse. Le but serait ainsi de préserver le corps de l’individu décédé en même temps que son âme.
Une sociologie de la momification
Une dimension sociale peut également être relevée. En effet, se faire momifier lorsque l’on dépend d’une classe sociale élevée pourrait permettre à l’individu concerné de ne pas tomber dans l’oubli, et de continuer à faire asseoir son importance ainsi que son aura pour les générations à venir. Pour une famille reconnue, posséder le cadavre momifié de son ancêtre permet de justifier son rang social et de maintenir sa place dans la société.
La pratique de la momification est de ce fait souvent réservée à des individus sacrés ou appartenant à une branche élevée de la hiérarchie sociétale. La momification résulte très souvent d’un processus long, et coûteux, que seuls des individus importants peuvent s'octroyer.
PRATIQUES PARTAGÉES
Le culte des ancêtres et des crânes
Le culte des ancêtres ou encore la collecte des crânes de ses ennemis sont des pratiques funéraires dominantes en Océanie. Si certains ouvrages, plus ou moins scientifiques, mentionnent le caractère anthropophage de ces minorités en les dépeignant comme des peuples insulaires aux confins de tout espoir de civilisation, la réalité des évènements en est toute autre.
En effet, étudier les diverses cultures des îles océaniennes ne peut être véridique que lorsqu’on le fait avec un regard objectif. Si certains témoignages font échos de pratiques telles que la réutilisation d’os d’ennemis dans la fabrication d’hameçons ou d’objets utilitaires, nous devons nous demander si cette pratique était bien réelle, et si tel est le cas, si elle était entreprise de manière occasionnelle ou au contraire récurrente.
Le culte des crânes, pratique largement reconnue dans plusieurs régions du globe, résultait semble-t-il d’une volonté de reconstituer les traits du visage du défunt par l’intermédiaire de pratiques de modelage.
Ces dernières étaient souvent en matières plastiques telles que l’argile, et se faisaient après décarnification ou décharnement de la tête.
Les premiers témoignages de la pratique du décharnement des têtes ont été trouvés à Jéricho, au Proche Orient, et sont datés d’environ 8 000 avant notre ère.
L’embaumement
L'embaumement est une pratique funéraire qui a également joué un rôle significatif dans le culte de la mort en Océanie.
Certains écrits rapportent en outre la pratique de massages dans le cadre de la préparation du cadavre. On retrouve aussi des mentions d’éviscérations, d’incisions, de dessiccation au soleil ou encore de recours à la fumée.
Il existerait enfin une pratique certes moins courante mais toute aussi curieuse, pratiquée par des peuples indigènes des monts Rossel (Nouvelle-Irlande) qui entouraient leurs défunts de feuilles et de ficelles avant de les enfouir sous des couches de calcaire corallien.
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Références webographiques :
Claire Laux, « La mort et la ville en Océanie », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 2007, p.114, [En ligne], mis en ligne le 30 décembre 2009, consulté le 01 avril 2021, https://journals.openedition.org/abpo/455.
Définition de la momification, Larousse, [En ligne], date de mise en ligne inconnue, consulté le 24 mars 2021, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/momification/52137.
Jacques Munier, “Le journal des idées : La vie qui sépare”, France Culture, [En ligne], mis en ligne le 1er novembre 2019, consulté le 23 février 2021, https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-des-idees/le-journal-des-idees-emission-du-vendredi-01-novembre-2019.
Jay Dobbin, “Micronesian Religions : an overview” from Encyclopedia.com, [En ligne], date de mise en ligne inconnue, consulté le 12 mars 2021, https://www.encyclopedia.com/environment/encyclopedias-almanacs-transcripts-and-maps/micronesian-religions-overview.
Pascal Sellier et Julio Bendezu-Sarmiento, “Différer la décomposition : le temps suspendu ? Les signes d’une momification préalable” in Les nouvelles de l'archéologie, 2013, p.132, [En ligne], mis en ligne le 01 janvier 2016, consulté le 14 mars 2021, https://journals.openedition.org/nda/2071.