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Pratiques régionales
La polynésie

LA POLYNÉSIE

Traite des lépreux aux Marquises

 

La région polynésienne regroupe un grand ensemble d’îles au Sud Est de l’Océanie. La majorité des polynésiens font partie du même groupe ethno-linguistique, et peuvent donc se comprendre entre eux. 

 

Pour comprendre le statut accordé à la mort dans cette région, nous avons décidé de nous pencher sur le cas de la traite des lépreux aux Marquises, et plus particulièrement sur le site funéraire de Manihina sur l’île de Ua Huka. Il est intéressant de voir que contrairement à l’Europe, où à la même période les malades étaient rejetés de la société, il semblerait ici qu’à Manihina le malade ait été accompagné dans sa maladie et soigné par ses congénères. Plus intéressant encore, il semblerait que les individus atteints de lèpre aient pu bénéficier des mêmes rites funéraires que leurs semblables.

 

On peut ainsi penser que la mort était quelque chose de particulièrement respecté par les Polynésiens. Il ne s’agissait pas simplement de faire disparaître le corps d’un malade, de surcroît contagieux, mais de lui accorder des soins et des rites, dont la momification fait partie, et de respecter le corps de chaque individu de la société.

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Toujours sur le site de Manihina, on peut voir que la majorité des tombes ont été datées du XVe siècle, grâce à une analyse au radiocarbone.

Fouilles à Manihina

Cette datation permet aux archéologues de prendre connaissance de traditions funéraires en dehors du contexte colonial, et de l’arrivée des européens (Ingraham et Marchand sont arrivés en 1791 dans le groupe nord, tandis que la prise de possession française ne se fera qu’en 1842 par Dupetit-Thouars). Le travail des chercheurs sur ce site funéraire a permis de montrer que la préservation des cadavres par la momification était une pratique répandue en Polynésie. 

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Linton disait en 1925 que la dessiccation n’était pas une pratique réservée aux élites dirigeantes, c’est-à-dire les haka’iki et les prêtres. Néanmoins, il est compliqué pour les archéologues de connaître la distinction de momification selon les individus ainsi que les techniques utilisées . La disposition des momies ensuite est également méconnue, et semble varier et se complexifier selon les corps.

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Pratiques funéraires à Tahiti

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Une autre étude intéressante concernant la momification en Polynésie serait les faits rapportés à Tahiti. Il semblerait que l’embaumement y soit strictement réservé aux chefs de clans contrairement à d'autres régions de l’Océanie où les pratiques de momification sont ouvertes à tous. Cela s’explique à Tahiti car les pratiques de momification étaient très onéreuses. 

 

Les défunts étaient simplement enveloppés dans des linges et déposés dans ce qui pourrait s’apparenter à une bière, avant d’être mis en terre. Quant au défunt chef, son corps était aussi placé dans une bière et conservé à l’intérieur d’une hutte, construite spécialement pour cette occasion. 

Hutte funéraire polynésie Voyages COOK

Les pratiques de momification passaient par diverses étapes. Tout d’abord, le corps était séché au soleil et frotté avec des huiles (d’origine végétale ou animale). Puis, on retirait les liquides organiques du cadavre et même parfois les viscères.

 

Certains textes mentionnent des changements dans la position du corps qui aurait été présenté assis le jour, et allongé la nuit.

 

Une fois la cavité vidée, on procédait à un rembourrage à l’aide de morceaux de tissus préalablement imbibés d’huiles parfumées. Suite à cela, le défunt était fixé en position assise, et vêtu. On faisait dresser un autel autour de lui sur lequel, chaque jour, les parents et prêtres apportaient des offrandes (nourriture, boissons, fleurs).

 

Après plusieurs mois, lorsque la momie commençait à se désagréger, les parents du défunt retirait le crâne et l’emportaient avec eux. Les autres os étaient quant à eux enterrés à dans une sépulture familiale commune. 

La micronésie

LA MICRONÉSIE

Nous disposons malheureusement que de peu de ressources concernant la momification en Micronésie. Un des seuls cas qui soit revenu à travers nos recherches est celui des têtes Kiribati. Kiribati est une république de Micronésie située en plein milieu du Pacifique sud, et qui est composée de plusieurs archipels. Le peuple kiribati pratique un rituel funéraire qui lui est propre.

Traditionnelle maneaba à Babaroroa, culture Kiribati

En effet, lorsqu’une personne décède, son corps n’est pas directement soumis à un traitement de préservation funéraire.

 

Il est d’abord exposé dans sa maison sous 3 à 10 jours, puis, il est enterré. Après quelques mois, son corps est déterré pour être poli par ses proches. La tête est ensuite scindée du corps pour être conservée par la famille du défunt. Le corps quant à lui est replacé en terre pour toujours. 

 

Selon Arthur Grimble, cette pratique a laissé place à un réel culte des crânes, qui sont entreposés dans de grandes maisons communes appelées les maneba. Les crânes des ancêtres permettent aux familles de se protéger contre les mauvais esprits.

 

Pour que cela fonctionne, il faut considérer le crâne comme une entité vivante : il est « nourri », on lui parle, etc…

L'australasie

L'AUSTRALASIE

En Australasie, le statut de l’ancêtre revêt d’une grande importance. Il représente l’ordre et la paix politique. La mort marque de ce fait le passage du monde des vivants à celui des esprits et des ancêtres.

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A Wallis par exemple, les morts qui nous sont étrangers, c’est-à-dire ceux par exemple d’un autre village, représentent un danger et sont assimilés à des démons : les temonio. Les rites funéraires varient à Wallis et en Australie. Tandis que certains morts bénéficient de nombreux rites funéraires, d’autres n’en ont jamais eu. Les défunts « étrangers » sont excessivement craints, tout comme les individus « victimes de malemort » (assassinat, sorcellerie, suicide, “vaincus de guerre”…).

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La momification est à intégrer dans un ensemble de pratiques funéraires rituelles comme l’endocannibalisme, la crémation ou encore la putréfaction et le décharnement naturel des chairs. 

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Selon Hertz, ces prises en charge du défunt ne correspondent pas à l’aboutissement final du rituel funéraire. Les pratiques de momification ne sont donc qu’une étape dans le long processus funéraire. Elles permettent d’accéder aux secondes funérailles, celles où les os du défunt purifiés vont pouvoir rejoindre ceux d’autres défunts dans une sépulture collective pour y devenir un ancêtre bienfaiteur. 

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Cette forme de sépulture collective est toute aussi crainte que respectée : c’est le tabou. Cette longue cérémonie peut être comparée à une forme de voyage initiatique vers le début d’une « nouvelle vie » au royaume des morts. Cette pratique peut entraîner un culte de reliques, comme ce fut le cas par exemple dans les pays chrétiens en Europe. Les sépultures collectives d’ossements d’ancêtres sont censées protéger le village des esprits malfaisants.

LA MÉLANÉSIE

La mélanésie

Papouasie Nouvelle Guinée

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La Mélanésie est certainement la région nous offrant le plus de ressources et de témoignages concernant la pratique de la momification en Océanie.

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La pratique de la momification y était courante jusqu’à l’arrivée des missionnaires chrétiens et des prédicateurs musulmans. Bien que réprimée à leur arrivée, la momification a continué à être pratiquée en Papouasie Nouvelle Guinée, comme nous pouvons le voir à travers l’exemple de la tribu des Dani. 

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Dans cette tribu, la pratique du culte des ancêtres est encore d’actualité. L’acte de momification était réservé aux personnages importants du village, comme les aînés et les héros du village. La momification implique de nombreuses traditions, et ne s’arrête pas à l’inhumation du mort. Le chef actuel de la commune de Wogi, Eli Mabel, continue de sortir la momie de son ancêtre âgé de plus de 300 ans.

Eli Mabel tenant la momie de son ancêtre Agat Mamete

Selon Eli Mabel, les hauts dignitaires étaient momifiés selon la « méthode rituelle de l’embaumement au feu ». Le corps du cadavre était enduit d’huiles animales. Puis, il était placé au-dessus du feu. La chaleur faisait alors sécher l’huile présente sur le cadavre, ce qui donnait à la fin un corps momifié. La dépouille était enfin entreposées dans une hutte appelée honai. 

 

Cette grande hutte au toit de chaume est encore gardée toute l’année par les habitants du village qui s’y relaient pour entretenir le foyer et vérifier la bonne conservation de la momie. La momie est également parée de défenses de sangliers disposées autour du torse, d’une gourde à pénis traditionnelle, et de plumes.

Îles Salomon et Nouvelles Hébrides

 

Aux îles Salomon et Nouvelles-Hébrides, la momification du corps dans sa totalité ne semble pas exister mais on y observe néanmoins des pratiques plus ou moins liées à l’embaumement. 

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C’est le cas des Iles Salomon notamment où la tête du défunt est détachée de son corps afin de recevoir un fumage qui va permettre de la dessécher. 

 

Aux Nouvelles Hébrides, on conserve le crâne et on le modèle à partir de matières plastiques comme l’argile. À proximité, on dispose un mannequin fait de bambou, de fibres de coco et d’argile, à l’image du défunt. Ce mannequin est peint de plusieurs couleurs. Dans le cas de la mort simultané du père et de son fils, ou encore du mari et de sa femme, on vient fixer sur l’épaule du père/mari le crâne modelé du fils ou de l’épouse. Les « crânes-masques » sont aussi peints de plusieurs couleurs vives (rouge, vert, noir, blanc) afin de redonner un aspect vivant au défunt.

Nouvelle Calédonie

 

Concernant la Nouvelle Calédonie, tandis certains peuples procédaient à une exposition des cadavres en plein-air (grottes, fentes de rochers, montagnes, forêts…), d’autres déposaient les corps dans des troncs d’arbres préalablement creusés en forme de pirogues. 

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Certains inhumaient leurs morts dans leur quasi-entièreté, en prenant soin de laisser la tête à l’air libre, ce qui montre encore l’importance du crâne en Océanie. 

On observe néanmoins peu de décoration du crâne en Nouvelle Calédonie, ou encore de surmodelage de ce dernier. Cela peut s'expliquer par une certaine crainte des néo-calédoniens d’être en contact direct avec la mort, peur qui est visiblement moins présente dans le reste de l’Océanie où l’on pratique intensément le culte des crânes et des ancêtres. 

 

Cette diversité des pratiques funéraires offre des informations quant à une multi-culturalité de ces peuples de Nouvelle-Calédonie, bien que nous ne soyons pas encore en mesure d’estimer une chronologie de ces rites. 

 

La momification était réservée aux chefs de clans, ce qui est certainement originaire de Polynésie, d’Australie, ou encore des îles du détroit de Torrès qui présentent une hiérarchie sociale dans leurs pratiques funéraires. 

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La plupart des momies calédoniennes retrouvées par les archéologues ont été conservées de manière naturelle et sans intervention de l’Homme. 

Crânes entreposés dans la grotte du Diable

Glaumont, vers 1880, parle d’un peuple indigène qui préparerait le corps de ses défunts chefs par enfumage ou par embaumement. Il explique que des incisions sont portées sur le corps du défunt, aussitôt après le décès, certainement en vue de pratiquer l’éviscération.

 

Ensuite, on frottait sur la peau un jus de plantes dont l’action était destinée à stopper l’avancée de la décomposition du corps. Puis, on maintenait le corps dans une position accroupie pour le sécher à la fumée et enfin, on l’appretait de beaux vêtements. Le visage était enfin peint de rouge et de noir, et on transportait le corps dans une hutte fermée. Il arrivait qu’on le hisse au sommet de la hutte afin que la momie puisse être vue de tous. 

Détroit de Torrès

 

Enfin, aux îles du Détroit de Torrès, nous disposons d’exemples très développés de méthodes de momification, provenant d’Indonésie et qui se sont exportées depuis cette région en passant par la Nouvelle-Calédonie. 

 

Dans cette région de l’Océanie, c’est le corps tout entier qui est embaumé.  Myers et Haddon, grâce à leurs diverses observations, ont permis d’en apprendre davantage quant aux cérémonies funéraires en place sur l’île de Darnley. Ils expliquent qu’après le décès, le défunt était allongé sur une natte à même le sol, devant la maison. 

 

Suite à cela, on déplaçait le corps sur un brancard de bois jusqu’au bord de la mer. Grâce à un coquillage tranchant, on pouvait procéder à l’éviscération, en incisant le côté de l’abdomen. Par la suite on remplissait l’intérieur de la cavité par des morceaux de palmier Nipa. On jetait les viscères à la mer et on fermait l’incision à l’aide d’un filet de pêche. Avec une flèche, on retirait le cerveau d’une part par le foramen magnum et d’autre part par une fente pratiquée au fond des fosses nasales.

 

Ensuite on transportait le corps dans une autre partie de l’île puis le corps était assis et couvert de peinture ocre. Une fois cela fait, il était de nouveau allongé sur le brancard où on lui liait la tête et les membres. Un bâton était également fixé à la mâchoire inférieure pour la maintenir en place. On dressait alors le brancard verticalement et on procédait à l’aménagement de petits trous avec des pointes de flèches afin que s’écoule le liquide interne. Enfin on allumait un feu qui était destiné à le dessécher et à le faire gonfler.

 

Une autre source mentionne qu’aux alentours du dixième jour après la mort, on retirait la peau de la paume des mains et des pieds à l’aide d’un couteau en bambou. On arrachait les ongles et on coupait la langue du défunt. On mettait tout cela dans une boite en bambou, portée ultérieurement par la veuve. 

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Références webographiques :

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